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samedi 3 mai 2014

Une machine ne remplacera jamais un controleur TVA

Michel Trembloy, contrôleur TVA, aura 59 ans le mois prochain. Il pose un regard désabusé sur l’évolution de son métier. Et prévient: dès qu’il le pourra, il prendra sa pension, sans attendre un jour de plus.
Michel Trembloy ne conseillerait pas à un jeune de vouloir faire carrière aux Finances.
Michel Trembloy ne conseillerait pas à un jeune de vouloir faire carrière aux Finances. ©Debby Termonia
L’ordinateur a chamboulé la vie professionnelle de Michel Trembloy. Entré au SPF Finances en 1980, ce régent en mathématiques, physique et chimie a appris sur le terrain le métier de contrôleur TVA et il considère toujours que c’est la voie la plus efficace. "Nous connaissions les gens, nous discutions avec eux, explique-t-il. Cela permettait de régler beaucoup de choses très rapidement et d’assurer les rentrées nécessaires pour le fonctionnement de l’État. Aujourd’hui, nous n’avons plus aucune liberté d’action."
Désormais, les cibles à contrôler sont déterminées par informatique. Le chef de service reçoit le listing et il faut impérativement vérifier le tout. Et tant pis si la personne a déjà été contrôlée cinq fois en six ans! "Avant, tous les assujettis étaient rassemblés en un gros classeur et tout le monde était contrôlé au moins une fois tous les cinq ans, raconte Michel Trembloy. Maintenant, les priorités nous sont imposées, selon des critères que nous ne connaissons pas. Et parfois, je me demande vraiment pourquoi on m’envoie contrôler telle ou telle société." En d’autres termes, l’administration ne ferait plus suffisamment confiance à l’intuition et au réseau de ses agents expérimentés.

Amendes automatiques

L’organisation pyramidale n’enchante pas non plus notre interlocuteur. Non seulement, il ne peut plus choisir ses cibles mais en outre une autre partie du travail de terrain lui a été retirée.
Plus question, par exemple, d’aller sonner à la porte des assujettis qui traînent à rentrer leur déclaration trimestrielle, d’autres s’en chargent. "C’était pourtant une occasion d’aller sur place, de parler avec le voisinage et d’apprendre beaucoup de choses à la source, se souvient-il.Souvent, si des gens ont du retard, c’est qu’ils ont des problèmes. Notre intervention pouvait les aider à sortir de l’ornière. Maintenant, c’est l’amende tout de suite, sans discussion. Ces amendes ont même été triplées récemment (1.500 euros pour non-dépôt de déclaration).C’est ridicule. Celui qui ne peut déjà pas se payer un comptable ne paiera pas une telle amende. J’ai vu quelques situations dramatiques dans ma carrière. Sincèrement, ça ne sert à rien de s’acharner sur ces gens."
Or, la liberté d’action du contrôleur a été fortement réduite en ce domaine. Les erreurs décelées entraînent automatiquement une amende. Seule une requête auprès du directeur régional peut éventuellement la lever ou la réduire. "Les directeurs sont submergés et n’ont plus le temps d’étudier toutes les requêtes,regrette Michel Trembloy. Les plus anciens m’appellent encore pour un conseil. Avec l’expérience, on sent très vite si les gens sont de bonne foi. Pour une petite erreur matérielle, à quoi cela sert-il d’infliger des amendes, souvent disproportionnées? Mais bon, qui se pose encore de telles questions chez nous?"
Et de se remémorer le temps où il pouvait sillonner son territoire, passer de la boulangerie au salon de coiffure et de flairer, au détour des vitrines, les endroits où l’on ne déclare pas vraiment toute la marchandise… "Nous fonctionnions peut-être de manière très administrative, avec un certain formalisme, mais ça marchait, dit-il. Une machine ne remplacera jamais l’expérience d’un bon contrôleur. Vous savez, ce n’est pas un hasard si c’est toujours chez les mêmes comptables qu’un stagiaire a commis une erreur d’encodage… Nous, nous savons cela, nous savons où regarder. Donnez-nous de la liberté d’action et des effectifs corrects et, vous verrez, l’argent rentrera dans les caisses de l’État."

Des contrôles ciblés…. mais inutiles!

Michel Trembloy ne sait pas s’il doit rire ou pleurer quand il se rappelle une récente opération ciblée sur les magasins franchisés. Entièrement pilotée en haut lieu mais bâtie, dit-il, "sur des critères mal choisis". Résultat: trente dossiers en trente jours pour… rien du tout.
"Et cela, je pouvais le dire dès le départ, assure-t-il. Mais on n’écoute pas les gens du terrain." Lui, il préférerait avoir plus de temps à consacrer à débusquer ces sociétés éphémères elles ferment ici après quelques mois et rouvrent ensuite à l’autre bout du pays — actives dans les magasins de nuit et les phone-shops mais aussi la construction parfois. "Elles sont très bien organisées et leur activité n’est pas loin de la traite des êtres humains, poursuit-il.Elles sont revendues très rapidement, souvent au sein d’une même communauté. C’est un système pour faire venir de la main-d’œuvre très mal payée. Si on nous en donnait la liberté, nous pourrions lutter efficacement contre cela."
"Pour une petite erreur matérielle, à quoi cela sert-il d’infliger des amendes, souvent disproportionnées?"
Michel Trembloy,
Contrôleur TVA
Vivement la retraite
Spécialisé au fil des ans dans la TVA, notre interlocuteur devra se plier prochainement au regroupement selon le profil des contribuables (particuliers, PME, grandes entreprises) plutôt que les types d’impôts. Un beau découpage en théorie mais, en pratique, cela risque d’être compliqué, redoute-t-il. "Personne ne s’y connaît suffisamment à la fois en IPP, en Isoc et en TVA, même pas les comptables, dit-il.Aujourd’hui, les comptables m’interrogent régulièrement sur l’un ou l’autre point précis en matière de TVA. Ils ont besoin de coups de main de spécialistes. Cela sera-t-il encore possible demain?"
Vous l’aurez compris, Michel Trembloy est un poil désabusé par l’évolution de "son" métier. Pour lui, les choses sont claires: dès qu’il peut prendre sa pension (a priori dans trois ans, quand il aura atteint ses 62 ans), il partira. "Je ne ferai pas un jour de plus, insiste-t-il. La situation devient trop lourde, même si je n’ai jamais eu le moindre problème de quantité ou de qualité de travail."
Il n’a plus envie de conseiller à des jeunes d’empoigner une carrière dans ce SPF où il officie depuis trente-quatre ans. "On ne peut même plus parler de sécurité d’emploi, conclut-il. Il y a de plus en plus de contractuels dans la fonction publique."
L'Echo, 02 mai 2014