PageRank Checker

Rechercher dans ce blog

mardi 21 juillet 2009

Sursis pour les amendes TVA

La Cour constitutionnelle a eu à se prononcer sur une question préjudicielle relative à l’article 70, § 1er, alinéa 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, posée par le Tribunal de première instance d’Arlon.

I. Objet de la question préjudicielle et procédure

Par jugement du 7 mai 2008 en cause de la SA « Garage Eugène Duparque » contre l’Etat belge, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 16 mai 2008, le Tribunal de première instance d’Arlon a posé la question préjudicielle suivante :

« Si l’amende fiscale visée à l’article 70, § 1er, alinéa 1er, du Code de la T.V.A. est une sanction pénale, les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, sont-ils violés en ce que l’assujetti qui se voit infliger par voie de contrainte une telle amende ne pourrait demander, devant la chambre fiscale du tribunal de première instance saisie sur son opposition, le bénéfice des mesures légales d’individualisation de la peine (suspension, sursis et probation), alors qu’il pourrait le faire si, comparaissant devant le tribunal correctionnel, il s’exposait aux peines prévues aux articles 73 et suivants dudit Code ? ».

Le 11 juin 2008, en application de l’article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, les juges-rapporteurs J. Spreutels et E. De Groot ont informé la Cour qu’ils pourraient être amenés à proposer de rendre un arrêt de réponse immédiate.

Le Conseil des ministres a introduit un mémoire justificatif.

Les dispositions de la loi spéciale précitée relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.

II. Les faits et la procédure antérieure

La SA « Garage Eugène Duparque » a assigné l’Etat belge devant le Tribunal de première instance d’Arlon. Elle fait opposition à des contraintes qui ont été décernées à la suite de procès-verbaux constatant qu’elle n’aurait pas respecté ses obligations en matière de taxe sur la valeur ajoutée.

Le juge a quo constate que la partie requérante a facturé en exemption de TVA des ventes de véhicules à des assujettis établis au Grand-Duché de Luxembourg mais que, faute de pouvoir établir la réalité de cette expédition intracommunautaire pour certains véhicules, elle ne pouvait bénéficier de l’exemption prévue à l’article 39bis du Code de la TVA. Il estime dès lors justifiée la régularisation dont elle fait l’objet.

Quant à l’amende prévue dans cette hypothèse par l’article 70, § 1er, du même Code, le juge a quo considère que la requérante ayant souvent agi avec légèreté et s’étant rendue complice d’un « carrousel à la TVA », les sanctions prévues par le droit interne peuvent être appliquées; il se réfère à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes et de la Cour constitutionnelle (arrêt n° 96/2002 du 12 juin 2002) pour considérer que l’amende doit être proportionnée à la gravité de l’abus et qu’il dispose d’un contrôle de pleine juridiction; il estime que l’amende de 200 p.c. des droits éludés prévue par l’article 70, § 1er, précité apparaît comme une sanction proportionnée qu’il n’y a pas lieu de réduire.

Il relève cependant que, compte tenu des caractères de cette sanction administrative, il s’agit d’une sanction pénale qui, contrairement aux peines correctionnelles, est établie et, s’agissant d’une amende, recouvrée à charge de l’assujetti par voie de contrainte, titre exécutoire que l’administration se décerne à elle-même sans débat contradictoire devant un juge. L’assujetti ne peut la contester qu’a posteriori, devant un juge exerçant un contrôle de pleine juridiction.

3

S’interrogeant sur la possibilité, pour le juge, d’accorder le sursis pour tout ou partie de l’amende alors que l’administration ne peut le faire, il soumet à la Cour la question de savoir s’il est discriminatoire, l’amende fiscale étant une sanction pénale, de refuser à la requérante le bénéfice de mesures légales d’individualisation de la peine (suspension, sursis ou probation) dont elle pourrait bénéficier si elle comparaissait devant un juge pénal.

III. En droit

- A -

A.1. Dans son mémoire justificatif, le Conseil des ministres rappelle les faits de l’espèce. Il estime que la question préjudicielle ne justifie aucune réponse, faute de relever de la compétence de la Cour : elle porte en effet sur une différence de traitement de modalités d’application entre deux catégories de sanctions et non sur une différence de traitement entre deux catégories de personnes.

A.2.1. Le Conseil des ministres renvoie au mémoire déposé dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt n° 79/2008 du 15 mai 2008 et tire argument de cet arrêt pour soutenir que le contrôle de pleine juridiction reconnu au juge ne signifie pas que celui-ci puisse disposer d’un pouvoir plus étendu que l’administration ou puisse, pour n’importe quel motif, nonobstant la volonté du législateur et en prenant en considération des dispositions parfaitement étrangères à la matière en cause, dispenser le redevable du paiement de l’amende. Ni le juge fiscal ni d’ailleurs le juge pénal ne peuvent renoncer, en vue d’assurer la prétendue « réinsertion » du fraudeur, à infliger des sanctions à celui qui, dans une matière permettant des montages complexes, tire profit de ses malversations en obligeant le fisc à lui rembourser des crédits d’impôt fictifs.

A.2.2. Le Conseil des ministres, réfutant les conclusions des juges-rapporteurs, expose que les amendes fiscales et les amendes pénales sont, en matière de TVA, cumulatives. L’arrêt n° 91/2008 du 18 juin 2008 décide que cela ne viole pas le principe « non bis in idem ». L’arrêt n° 96/2002 du 12 juin 2002 a admis le cumul illimité des amendes administratives en matière de TVA, parce qu’une règle d’absorption analogue à celle prévue par l’article 65 du Code pénal ne serait pas compatible avec le système de sanctions de l’article 70, § 2, du Code de la TVA. L’amende administrative de 200 p.c. n’est infligée que lorsque l’infraction est commise dans l’intention d’éluder ou de permettre d’éluder la taxe (article 1er, dernier alinéa, de l’arrêté royal n° 41 du 30 janvier 1987 fixant le montant des amendes fiscales proportionnelles en matière de TVA). Les amendes administratives en matière de TVA ont un caractère répressif au sens de l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui fonde un système autonome de contrôle judiciaire (de pleine juridiction) garantissant un procès équitable.

Les amendes pénales prévues par l’article 73 du Code de la TVA supposent l’intention frauduleuse ou le dessein de nuire.

A.2.3. Selon le Conseil des ministres, la question préjudicielle requiert une lecture conjointe des articles 70, § 1er, alinéa 1er, et 84, dernier alinéa, du Code de la TVA, de l’article 1er, dernier alinéa, de l’arrêté royal n° 41 du 30 janvier 1987, des articles 10 et 11 de la Constitution et de l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme. La seule mesure d’individualisation concernée est par ailleurs le sursis. La différence de traitement entre la procédure aboutissant à l’amende administrative et les poursuites pénales est raisonnablement justifiée par la différence de l’élément moral retenu à charge du contrevenant. Le contrôle de pleine juridiction, permettant au juge fiscal de vérifier si l’élément intentionnel requis par l’arrêté royal n° 41 précité peut être retenu, suffit à garantir le respect des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Les mesures légales d’individualisation de la peine sont applicables aux sanctions qui relèvent du droit pénal interne. Le bénéfice de ces mesures n’entre pas dans les prévisions des garanties de l’application de l’article 6.1 précité. Imposer le respect de ces mesures d’individualisation par un juge civil, saisi d’une contestation d’une amende administrative visée à l’article 70, § 1er, alinéa 1er, du Code de la TVA, qui peut se superposer, le cas échéant, à une amende pénale (article 73),

4

ajoute sans conteste une condition aux garanties prévues par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et par la Cour constitutionnelle pour que soit respecté l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme, lu ou non en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, et ne répond pas à la ratio legis de cette disposition conventionnelle.

A.2.4. Le Conseil des ministres indique que le minimum et le maximum des amendes pénales sont fixés par la loi, le montant de l’amende étant fixé par le juge, alors que le barème des amendes fiscales est fixé par l’arrêté royal n° 41 précité; il permet des réductions. La ratio legis des sanctions et les règles qui leur sont applicables étant radicalement différentes, il ne faut pas perdre de vue le respect de l’article 13 de la Constitution, en présence d’une compétence exclusive réservée au juge fiscal pour l’amende administrative, même cumulée avec une sanction pénale. La non-application des mesures d’individualisation des peines aux amendes administratives en cause ne constitue pas une violation des dispositions visées par la question préjudicielle. Les deux systèmes de sanction sont cumulatifs.

A.2.5. Selon le Conseil des ministres, la jurisprudence de la Cour relative au droit pénal social, à laquelle se réfèrent les juges-rapporteurs, a évolué. L’arrêt du 16 juin 2004 permet désormais à l’employeur de bénéficier du sursis, mais non de la suspension de la condamnation. Ce système de sanction diffère fondamentalement du système des sanctions fiscales puisque les amendes du droit social sont alternatives.

A.3.1. Développant les principes qu’il vient d’exposer, le Conseil des ministres ajoute, quant à la procédure applicable aux amendes administratives, que l’arrêté du Régent du 18 mars 1831 (article 9) permet au redevable de demander une réduction ou une remise de l’amende (déjà réduite, le cas échéant, sur la base de l’arrêté royal n° 41 précité). La loi lui permet en outre de saisir le juge, soit après la procédure administrative, soit directement.

A.3.2. Le Conseil des ministres relève, quant à la formulation de la question préjudicielle, que le juge a quo qualifie à tort l’amende en cause de sanction pénale alors qu’il s’agit, compte tenu de l’arrêt de la Cour de cassation du 23 janvier 1992 qu’il cite, de mesures qui ont un caractère répressif et sont de nature pénale au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, ce que les juges-rapporteurs ont d’ailleurs indiqué.

A.3.3. Le Conseil des ministres soutient que l’article 70, § 1er, alinéa 1er, du Code de la TVA (sur lequel est interrogée la Cour) doit être lu conjointement avec l’article 84, alinéa 3, du même Code et avec l’article 1er, dernier alinéa, de l’arrêté royal n° 41 précité : ce n’est que lorsque l’infraction est commise dans l’intention d’éluder ou de permettre d’éluder la taxe que l’échelle de réduction des amendes ne peut être appliquée et que l’amende de 200 p.c. est maintenue. La Cour ne serait pas compétente pour répondre à la question si celle-ci visait non seulement l’amende de 200 p.c. mais aussi l’amende réduite sur la base de ces dispositions. Son arrêt n° 79/2008 du 15 mai 2008 s’est déjà prononcé sur l’article 84, alinéa 3, précité, en ce qui concerne le contrôle de pleine juridiction.

A.3.4. Le Conseil des ministres souligne que la question préjudicielle vise les articles 10 et 11 de la Constitution lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Les conclusions des juges-rapporteurs ne répondent à la question qu’en ce qui concerne les articles 10 et 11 de la Constitution. Par ailleurs, le jugement a quo et les conclusions des juges-rapporteurs envisagent tantôt le sursis, la suspension et la probation, tantôt une partie de ces mesures seulement. Dès lors que les juges-rapporteurs se réfèrent à la loi du 30 juin 1971 et que l’arrêt n° 105/2004 du 16 juin 2004 a validé cette loi en ce qui concerne l’impossibilité d’obtenir une suspension du prononcé de la condamnation, il faut considérer que les conclusions des juges-rapporteurs ne portent que sur le sursis.

A.3.5. Le Conseil des ministres rappelle les deux voies (amendes pénales et sanctions administratives) prévues par le Code de la TVA et la jurisprudence de la Cour en cette matière; il rappelle aussi le régime des amendes fiscales établi par l’article 70 du Code de la TVA ainsi que les possibilités de réduction résultant de la combinaison de cette disposition avec l’article 84 du même Code et avec l’article 1er, dernier alinéa, de l’arrêté royal n° 41 précité. Il expose ensuite le régime des amendes pénales établies par les articles 73 à 74bis du Code et indique que les manquements qui sont visés par l’article 73 sont bien plus larges que ceux visés par

5

l’article 70, § 1er, alinéa 1er, et que l’amende pénale ne peut être prononcée que si le contrevenant a agi soit avec une intention frauduleuse, soit dans le dessein de nuire. Les éléments essentiels des infractions réprimées par les deux types d’amende ne sont pas identiques : l’élément moral pour infliger une amende administrative de 200 p.c. devant un juge civil est inscrit à l’article 1er, dernier alinéa, de l’arrêté royal n° 41 du 30 janvier 1987 (l’intention d’éluder ou de permettre d’éluder la taxe) alors que la sanction pénale qui justifie une poursuite devant une juridiction répressive exige en revanche une intention frauduleuse ou le dessein de nuire. Le but général des sanctions prévues par les articles 70, § 1er, alinéa 1er, et 73 du Code de la TVA est sans doute similaire, celui de réprimer un manquement, mais l’objectif spécifique de la sanction administrative est différent de celui poursuivi par la sanction pénale, dans la mesure où cette dernière réprime une infraction commise avec un élément moral spécifique, à savoir l’intention frauduleuse ou le dessein de nuire. Dès lors que l’amende administrative fait l’objet d’un contrôle de pleine juridiction, la loi n’est pas discriminatoire. Elle peut être cumulée avec l’amende pénale qui relève du juge répressif.

A.3.6. Le Conseil des ministres expose aussi que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’exigence d’un contrôle de pleine juridiction sur les amendes fiscales résulte de l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme décide que ce contrôle implique que le juge puisse réformer en fait comme en droit la décision des autorités administratives; elle considère aussi qu’une amende fiscale peut avoir un caractère pénal alors même qu’elle ne relève pas du droit pénal dans le droit interne. Ce contrôle de pleine juridiction inclut un contrôle de la proportionnalité entre la sanction infligée et les faits reprochés, en ce compris quant aux amendes administratives.

Aucun arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme n’indique cependant que le contrôle du principe de proportionnalité permet au juge de réduire le montant de l’amende en dessous du barème légal. L’absence d’un tel pouvoir ne viole pas l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme car celui-ci ne concerne que le caractère équitable de la procédure. La notion de pleine juridiction ne conduit pas non plus à admettre un contrôle sur l’opportunité de la décision : l’administration ne peut en effet exercer son pouvoir de manière arbitraire et est liée par le principe de légalité et les principes de bonne administration. Le contrôle de pleine juridiction portant sur la légalité et la proportionnalité des amendes fiscales sans s’étendre à leur opportunité rencontre les exigences de l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme.

A.3.7. Se référant ensuite à la jurisprudence de la Cour relative au contrôle de pleine juridiction, le Conseil des ministres soutient que ce contrôle ne comprend pas celui de l’opportunité de l’amende; le juge peut, selon l’arrêt n° 96/2002 du 12 juin 2002, moduler l’amende et, en l’espèce, la supprimer ou la diminuer dans les limites assignées à l’administration par les articles 70, § 2, et 84, alinéa 3, du Code de la TVA, lesquels ne permettent pas à celle-ci de réduire ou de remettre l’amende en fonction des circonstances particulières de l’espèce. Le juge ne saurait donc exercer un pouvoir dont l’administration ne dispose pas. L’arrêt n° 79/2008 du 15 mai 2008 ne reconnaît pas davantage au juge le pouvoir de contrôler l’opportunité de la sanction ou de statuer en équité.

A.3.8. Le Conseil des ministres fait encore valoir que la jurisprudence de la Cour relative aux amendes administratives établies par des décrets affirme leur qualité de « peines » au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, sans que cela en fasse des peines au sens de l’article 11 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, relevant dès lors du droit pénal fédéral.

A.3.9. Il conclut que les amendes en cause ont une nature pénale au sens de la Convention européenne des droits de l’homme mais pas au sens du droit pénal. Le contrôle de pleine juridiction permettant au juge de vérifier l’existence de l’élément intentionnel requis par l’article 1er de l’arrêté royal n° 41 précité suffit à garantir le respect des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme, lequel est étranger aux mesures légales d’individualisation de la peine qui sont applicables aux sanctions pénales prévues par le droit interne. L’article 6.1 précité n’étant pas violé, il ne saurait être question d’une violation du principe constitutionnel d’égalité lu en combinaison avec cette disposition.

6

A.4.1. En ce qui concerne les dérogations au droit pénal commun en matière de TVA, le Conseil des ministres rappelle la portée des articles 73 et suivants du Code de la TVA. Il rappelle aussi que l’arrêt n° 96/2002 du 12 juin 2002 a décidé que, contrairement à la personne citée à comparaître devant le tribunal correctionnel, la personne qui exerce, devant le tribunal de première instance, un recours contre la décision lui infligeant une amende fiscale ne peut bénéficier de la règle d’absorption, qui est l’une des modalités d’individualisation de la peine, laquelle ne peut être ordonnée que par une juridiction pénale. Selon la Cour, l’application par le juge civil d’une règle d’absorption analogue à celle prévue par l’article 65 du Code pénal ne serait pas compatible avec le système de sanctions de l’article 70, § 2, du Code de la TVA. Elle conduirait en effet à ce qu’en cas d’infraction systématique et répétée, portant parfois sur un grand nombre de factures, une seule amende, relative à la facture la plus élevée, pourrait être infligée. Une telle mesure n’aurait pas l’effet dissuasif que le législateur doit donner aux amendes fiscales en cause. Les amendes fiscales cumulées aux amendes pénales sont aussi, en matière de TVA, soustraites à l’application de l’article 65 du Code pénal.

A.4.2. Il rappelle aussi que l’arrêt n° 91/2008 du 18 juin 2008 a constaté que les articles 445 et 449 du CIR 1992 instaurent, respectivement, des amendes administratives et des sanctions pénales qui répriment en termes équivalents le même comportement, l’article 449 requérant toutefois une intention frauduleuse ou un dessein de nuire, ce qui justifie que le principe « non bis in idem » ne soit pas violé. La Cour considère qu’en s’abstenant de satisfaire en temps utile aux obligations que lui imposent les lois fiscales, le contribuable retarde l’établissement et la perception de l’impôt et, par conséquent, prive l’Etat de ressources fiscales. En raison de la multiplicité des infractions fiscales et du nombre considérable de dossiers dont sont déjà chargés les parquets, le législateur a pu considérer qu’un contrôle préalable effectué par ceux-ci risquerait de rendre inefficace ce système de sanctions. Le contribuable n’est pas pour autant privé de moyens de défense, puisque l’administration doit motiver sa décision et que celle-ci peut être contestée devant le juge civil. Cette jurisprudence est transposable aux articles 70 et 73 du Code de la TVA puisque les poursuites pénales sont subordonnées à l’intention frauduleuse ou au dessein de nuire et que le juge civil exerce un contrôle de pleine juridiction.

A.4.3. Le Conseil des ministres rappelle encore que les peines sont fixées, en matière pénale, par le juge répressif dans les limites minimales et maximales fixées par la loi alors qu’en matière fiscale, elles le sont selon une échelle dont les graduations sont fixées par le Roi. Il indique que le régime des décimes additionnels n’est pas applicable aux infractions visées par les articles 73 et suivants du Code de la TVA. Il se réfère à l’article 13 de la Constitution, qui signifie que toute personne doit être jugée suivant des règles de compétence et de procédure objectivement fixées et ne peut être citée devant une juridiction autre que celle qui est prévue par la loi (Cass., 7 janvier 1997, Pas., 1997, I, n° 14) et garantit à toutes les personnes se trouvant dans la même situation le droit d’être jugées suivant les mêmes règles de compétence et de procédure (arrêt n° 51/95 du 22 juin 1995, B.6). En ce que les conclusions des juges-rapporteurs reviennent à proposer que le juge fiscal applique au contrevenant des règles réservées à la matière pénale, alors que le juge fiscal est saisi d’un litige portant sur des amendes administratives, ces conclusions vont à l’encontre du principe déposé dans l’article 13 de la Constitution.

A.4.4. Quant aux dispositions du droit social auxquelles les conclusions des juges-rapporteurs renvoient, le Conseil des ministres indique qu’il s’agit d’un système où les poursuites pénales, contrairement à ce que prévoit le Code de la TVA, excluent l’application de l’amende administrative : l’auditeur du travail a le choix du mode de répression, l’amende administrative ne pouvant cependant être infligée que si les faits sont aussi passibles de sanctions pénales. En matière de TVA, l’intention sera déterminante pour départager les amendes, les règles à appliquer, la procédure à suivre et les garanties offertes au contrevenant. Dans l’arrêt n° 105/2004 du 16 juin 2004, la Cour a estimé qu’il était raisonnablement justifié que la personne qui a saisi le tribunal du travail ne puisse bénéficier d’une mesure de suspension du prononcé de la condamnation, une telle mesure étant difficilement conciliable avec une procédure qui ne se déroule pas devant une juridiction pénale, mais a considéré que le sursis à l’exécution devrait pouvoir être accordé dès lors que, quelle que soit la juridiction qui l’accorde, le sursis peut inciter de la même manière le condamné à s’amender, par la menace d’exécuter, s’il venait à récidiver, la condamnation au paiement d’une amende qui constitue une peine au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Au surplus, la Cour rappelle que le tribunal du travail, en ce qu’il ne dispose pas de la faculté d’accorder le sursis lors du recours exercé a posteriori à l’encontre de l’amende

7

infligée, ne détient pas un pouvoir d’appréciation comparable à celui de l’administration puisque, aux termes de l’article 7, § 3, de la loi du 30 juin 1971, le fonctionnaire désigné par le Roi « décide, après avoir mis l’employeur en mesure de présenter ses moyens de défense, s’il y a lieu d’infliger une amende administrative du chef de l’infraction ». Ce raisonnement paraît critiquable car l’octroi d’une mesure de sursis consiste à suspendre l’exécution de la peine prononcée (peine d’emprisonnement ou amende). Celle-ci doit dès lors avoir été prononcée. Or, il ne ressort nullement de l’article 7, § 3, de la loi du 30 juin 1971 que le fonctionnaire disposerait de la faculté d’octroyer une mesure de sursis à l’exécution de l’amende infligée. Cet article lui confère par contre la faculté d’infliger ou non une amende administrative au vu des observations formulées par l’employeur quant à l’infraction qui a été constatée. Il n’en demeure pas moins que le raisonnement tenu par la Cour en cette matière ne peut s’appliquer en matière fiscale, les deux systèmes étant radicalement différents.

- B -

B.1.1. L’article 70, § 1er, alinéa 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après Code de la TVA), qui figure dans la section 1ère (« Amendes fiscales ») du chapitre XI (« Sanctions »), dispose :

« Pour toute infraction à l’obligation d’acquitter la taxe, il est encouru une amende égale à deux fois la taxe éludée ou payée tardivement ».

B.1.2. Les articles 73 et 73bis du Code de la TVA, qui figurent dans la section 2 (« Peines correctionnelles ») du chapitre XI (« Sanctions »), disposent :

« Art. 73. Sans préjudice des amendes fiscales, sera puni d’un emprisonnement de huit jours à deux ans et d’une amende de 250 à 125.000 EUR, ou de l’une de ces peines seulement celui qui, dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire, contreviendra aux dispositions du présent Code ou des arrêtés pris pour son exécution.

Art. 73bis. Sera puni d’un emprisonnement d’un mois à cinq ans et d’une amende de 250 à 125.000 EUR, ou de l’une de ces peines seulement celui qui, en vue de commettre une des infractions visées à l’article 73, aura commis un faux en écritures publiques, de commerce ou privées, ou qui aura fait usage d’un tel faux.

Celui qui, sciemment, établira un faux certificat pouvant compromettre les intérêts du trésor ou fera usage de pareil certificat, sera puni d’un emprisonnement de huit jours à deux ans et d’une amende de 250 à 125.000 EUR ou de l’une de ces peines seulement ».

B.1.3. L’article 73quinquies du Code de la TVA, qui figure dans cette même section, dispose :

8

« § 1er. Toutes les dispositions du Livre premier du Code pénal, y compris l’article 85, sont applicables aux infractions visées par les articles 73, 73bis et 73quater.

[…]

§ 3. La loi du 5 mars 1952, modifiée par les lois des 22 décembre 1969 et 25 juin 1975, relative aux décimes additionnels sur les amendes pénales, n’est pas applicable aux infractions visées aux articles 73, 73bis et 73quater ».

B.2.1. Le juge a quo demande à la Cour si l’article 70, § 1er, alinéa 1er, précité viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce qu’il ne lui permet pas d’accorder au contrevenant des mesures d’individualisation de la peine telles que la suspension, le sursis et la probation alors que le contrevenant pourrait en obtenir le bénéfice s’il comparaissait devant le tribunal correctionnel pour se voir infliger les sanctions pénales prévues par les articles 73 et suivants du Code de la TVA.

B.2.2. Contrairement à ce que soutient le Conseil des ministres, la question préjudicielle relève de la compétence de la Cour puisqu’elle porte sur une différence de traitement entre redevables de la TVA, suivant que leur sont infligées des amendes fiscales ou des sanctions pénales.

B.2.3. La question préjudicielle évoque « les mesures légales d’individualisation de la peine (suspension, sursis et probation) ». Le dispositif du jugement a quo indique cependant que cette question est adressée à la Cour « avant de dire droit quant au sursis éventuel à appliquer à tout ou partie des amendes restant dues ». La Cour limite dès lors son examen à l’hypothèse du sursis à l’exécution.

B.3.1. La taxe sur la valeur ajoutée a été instaurée en exécution de directives européennes, ce qui a une incidence sur la répression des infractions à cette législation.

9

Lorsqu’une réglementation européenne, comme en l’espèce, ne comporte aucune disposition spécifique prévoyant une sanction en cas de violation ou renvoie sur ce point aux dispositions législatives, réglementaires et administratives nationales, les Etats membres sont tenus, selon la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, en vertu de l’article 10 du Traité CE, de prendre toutes mesures propres à garantir la portée et l’efficacité du droit communautaire. A cet effet, les Etats membres doivent notamment veiller à ce que les violations du droit communautaire soient sanctionnées dans des conditions, de fond et de procédure, qui soient analogues à celles applicables aux violations du droit national d’une nature et d’une importance similaires. Ils conservent à cet effet le choix des sanctions mais celles-ci doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. En outre, les autorités nationales doivent procéder, à l’égard des violations du droit communautaire, avec la même diligence que celle dont elles usent dans la mise en oeuvre des législations nationales correspondantes (CJCE, 21 septembre 1989, C-68/88, Commission c. République hellénique).

Les Etats membres sont toutefois tenus d’exercer cette compétence dans le respect du droit communautaire et de ses principes généraux et, par conséquent, dans le respect du principe de proportionnalité. Les mesures administratives ou répressives ne doivent pas dépasser le cadre de ce qui est strictement nécessaire aux objectifs poursuivis, et les modalités de contrôle ne doivent pas être assorties d’une sanction à ce point disproportionnée à la gravité de l’infraction qu’elle deviendrait une entrave aux libertés consacrées par le Traité CE (CJCE, 16 décembre 1992, C-210/91, Commission c. République hellénique).

B.3.2. Les amendes fiscales prévues à l’article 70, § 1er, alinéa 1er, du Code de la TVA ont pour objet de prévenir et de sanctionner les infractions commises par tous les redevables, sans distinction aucune, qui ne respectent pas les obligations imposées par ce Code. Elles ont donc un caractère répressif et sont de nature pénale au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

B.3.3. Toutefois, contrairement à la personne citée à comparaître devant le tribunal correctionnel, la personne qui exerce, devant le tribunal de première instance, un recours contre la décision lui infligeant une amende fiscale ne peut bénéficier du sursis, lequel ne peut être ordonné que par une juridiction pénale.

10

B.3.4. Sous la réserve qu’il ne peut prendre une mesure manifestement déraisonnable, le législateur démocratiquement élu peut vouloir déterminer lui-même la politique répressive et exclure ainsi le pouvoir d’appréciation du juge.

Le législateur a toutefois opté à diverses reprises pour l’individualisation des peines, notamment en autorisant le juge à accorder des mesures de sursis.

B.3.5. Il appartient au législateur d’apprécier s’il est souhaitable de contraindre le juge à la sévérité quand une infraction nuit particulièrement à l’intérêt général, spécialement dans une matière qui, comme en l’espèce, donne lieu à une fraude importante. Cette sévérité peut notamment porter sur les mesures de sursis.

La Cour ne pourrait censurer pareil choix que si celui-ci était manifestement déraisonnable ou si la disposition en cause avait pour effet de priver une catégorie de justiciables du droit à un procès équitable devant une juridiction impartiale et indépendante, garanti par l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme.

B.4.1. Le sursis à l’exécution des peines a pour objectif de réduire les inconvénients inhérents à l’exécution des peines et de ne pas compromettre la réinsertion du condamné. Il peut être ordonné à propos de peines d’amende. Il ressort en outre de l’article 157, § 1er, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, rétabli par l’article 108 de la loi du 13 décembre 2006 portant des dispositions diverses en matière de santé, ainsi que de l’article 1erquater de la loi du 30 juin 1971 relative aux amendes administratives applicables en cas d’infraction à certaines lois sociales, inséré par l’article 145 de la loi-programme du 27 décembre 2004, que le sursis n’est pas considéré par le législateur comme incompatible avec une amende imposée par une autorité autre qu’une juridiction pénale.

Sans doute le régime des amendes fiscales en cause peut-il différer en divers éléments de celui des sanctions pénales prévues par le Code de la TVA ou de celui des sanctions

11

administratives prévues en d’autres matières, qu’il s’agisse, comme l’indique le Conseil des ministres, de la formulation différente de l’exigence de l’élément moral, de la possibilité de cumuler des amendes administratives, du mode de fixation des peines ou de l’application de décimes additionnels. S’il est vrai que de telles différences peuvent être pertinentes pour justifier l’application de règles spécifiques dans certains domaines, elles ne le sont pas dans celui qui fait l’objet de la question préjudicielle : en effet, qu’il soit accordé par le tribunal correctionnel ou par une autre juridiction, telle que le tribunal de première instance, le sursis peut inciter le condamné à s’amender, par la menace d’exécuter, s’il venait à récidiver, la condamnation au paiement d’une amende. Contrairement à ce que soutient le Conseil des ministres, l’octroi du sursis par l’une ou l’autre juridiction n’aboutit pas à une violation de l’article 13 de la Constitution puisque les justiciables comparaissent devant le juge que la loi désigne et sont jugés suivant les mêmes règles de compétence et de procédure.

Lorsque la loi du 29 juin 1964 n’est pas applicable, il appartient au législateur de déterminer en la matière les conditions auxquelles un sursis peut être ordonné et de fixer les conditions et la procédure de son retrait.

B.4.2. Il résulte de ce qui précède que l’article 70, § 1er, alinéa 1er, du Code de la TVA n’est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il ne permet pas au tribunal de première instance d’accorder le bénéfice du sursis au premier contrevenant visé en B.2.1.

B.5.1. Dans son mémoire justificatif, le Conseil des ministres fait valoir que le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité des dispositions en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et soutient que, si l’article 6.1 de la Convention précitée n’est pas violé, il ne saurait être question d’une violation du principe constitutionnel d’égalité, lu en combinaison avec cette disposition qui, selon lui, ne serait pas violée.

12

B.5.2. L’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil ou du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Ce droit doit, aux termes de l’article 14 de la Convention, être assuré sans discrimination.

B.5.3. La différence de traitement en cause provient de ce que le contribuable est attrait, tantôt devant le tribunal correctionnel, tantôt devant le tribunal de première instance, en raison de décisions prises tantôt par le ministère public, tantôt par l’administration fiscale. Ces décisions ont pour conséquence que l’intéressé ne dispose pas des mêmes moyens de défense selon qu’il comparaît, pour les mêmes faits, devant l’un ou l’autre juge. Dès lors qu’il résulte du B.4.1 que cette différence de traitement quant aux moyens de défense en cause n’est pas justifiée, il doit être admis que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme est violé.

13

Par ces motifs,

la Cour

dit pour droit :

L’article 70, § 1er, alinéa 1er, du Code de la TVA viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce qu’il ne permet pas au tribunal de première instance d’assortir d’un sursis l’amende prévue par cette disposition.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l’audience publique du 6 novembre 2008.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire